PREAMBULE
Au Nom d’Allah le Clément le Miséricordieux, Louange à Allah, Dieu de l’Univers, Paix et Salut sur le plus noble des Prophètes et des messagers, notre seigneur et notre maitre Mohamed et sur les siens et ses compagnons.
- Considérant notre conviction de la richesse du patrimoine culturel, la pluralité des confluents civilisationnels et la solidité des systèmes communautaires qui caractérisent le continent africain, nous avons la certitude que ce dernier peut proposer un projet spirituel complet, pour éteindre les flammes des guerres et lutter contre l’extrémisme, dont les incendies dévorent presque de vastes régions de notre monde islamique et de nombreuses parties de notre continent noir ;
- Considérant le fait que l’extrémisme continue d’instrumentaliser la pensée religieuse pour réaliser des objectifs destructifs, de déstabilisation et de menace contre la paix nationale et internationale, il devient un «devoir du temps», pour les universitaires et les chefs religieux, d’intervenir d’urgence, afin de lutter contre la violence et l’extrémisme, d’aider à comprendre ce phénomène, d’en analyser les causes, d’en connaître les circonstances d’apparition et les implications, d’en anticiper les évolutions futures ; de démanteler la rhétorique idéologique dont il tire sa «légitimité» et les mauvaises approches qu’il utilise dans son raisonnement, ses concepts erronés dans les deux domaines religieux et politique, son interprétation inexacte des textes jurisprudentiels sortis de leur contexte et le non-respect par lui de la relation régissant la rhétorique de la situation et celle de la prescription ;
- Conscients de l’importance de la sécurité spirituelle, devenue en danger dans certains pays du continent, tout comme le tissu social d’ailleurs, en raison des risques d’aggravation de l’émiettement et de la fragmentation dus au discours de l’extrémisme, qui est basé sur la suscitation de conflits ethniques et l’exacerbation des guerres internes ; • Partant de la nécessité pour les chercheurs africains d’assumer leur responsabilité religieuse, nationale et historique, en présentant des propositions pratiques, visant à faire passer les pays du continent – à travers leurs autorités religieuses – de l’état où ils subissent les influences et y réagissent, à l’étape où ils deviennent agissants euxmêmes et influents ; du suivisme à l’initiative de promotion de la paix régionale et internationale ;
- Conscients de la proportion prise par l’atteinte aux personnes, à l’honneur et aux biens, de l’énormité des séquelles du terrorisme sur la sécurité psychologique et sociale, de l’asthénie des énergies humaines et économiques qu’il occasionne, faisant que les sociétés ont aujourd’hui besoin de pompiers qui, sans se soucier du pyromane, n’ont de préoccupation unique que de savoir comment éteindre les incendies, afin de soulager le continent de ce qui l’accable, faute de quoi le combat pour la survie pourrait conduire, inéluctablement, à l’anéantissement ;
- Dans la ville de Nouakchott, sous le haut patronage de Son Excellence le Président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, Président de la République islamique de Mauritanie ; ce pays qui garde toujours son identité islamique, arabe et africaine, depuis l’époque des Almoravides, est une destination pour les chercheurs du savoir, un refuge pour tous ceux qui sont en quête de bien et un point de départ pour les prédicateurs. Ainsi ont parlé ses Mahadras et témoigné ses confréries soufies ;
Et en partenariat entre le gouvernement mauritanien et le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes, basé à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis), se sont réunis, du 26 au 28 Jumada al Oula 1441 H. / 21 au 23 janvier 2020, environ 500 personnalités ressources parmi les ulémas musulmans ; des cheikhs éducateurs, des penseurs, des ministres, des muftis, des imams et des prédicateurs, toutes doctrines et tendances confondues, venant de différents pays africains, avec eux des représentants d’organisations islamiques et internationales et en présence d’observateurs d’autres continents ;
Après avoir discuté les points de vue et débattu des visions et des idées, les savants participants à cette conférence déclarent ce qui suit :
Premièrement : LES OBJECTIFS
La présente déclaration vise l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs, qui se résument comme suit :
- Elaborer un plan complet, opérant, intégré et appréhendant le patrimoine humain africain pour faire face à l’extrémisme, à la belligérance et à la criminalité transfrontalière.
- Développer des méthodes de pensée et des mécanismes de travail selon des moyens innovants, pacifiques et légitimes, pour affronter la violence et l’extrémisme, intellectuellement et par l’action.
- Ériger davantage de passerelles de coopération entre les religions et les cultures, ou entre les hommes de religion en activité dans les domaines des droits humains, sur la base du principe de « L’Alliance des valeurs » et du « Voisinage humain ».
- Réhabiliter la pensée de la tolérance religieuse et de la coexistence pacifique entre les individus et les peuples, en s’inspirant des idéaux humains universels et des valeurs de notre continent noir, en concrétisation du message sublime instauré par « La Sahifa (Charte) de Médine ».
- Dynamiser la charte de la Nouvelle Alliance des Vertueux, mettre en évidence sa spécificité, les valeurs et vertus qu’elle prône, les perspectives prometteuses qu’elle ouvre pour la coexistence et l’unité des peuples, sur la base de la « compréhension », de la « coopération » et de la « fraternité humaine ».
- S’inspirer des grandes traditions et des nobles pratiques sociales, dont regorge le patrimoine culturel et artistique africain, pour promouvoir les valeurs de paix, de tolérance et de coexistence et le règlement des différends par des moyens pacifiques, comme l’incarnent les réunions à l’ombre du baobab africain, pour régler les contentieux entre les cultivateurs et les bergers.
- S’inspirer des modèles sociétaux contemporains comme l’Ubuntu en Afrique du Sud, en matière de conciliation et celui des Emirats arabes Unis dans le domaine du pardon.
LES POSTULATS
Cette déclaration s’appuie sur les postulats et fondements de départ qui suivent :
Premier postulat : la nécessité impérative de sortir de l’état d’agitation et de belligérance qui règne dans certaines de nos sociétés africaines ; du sang et des ruines qu’il a laissé derrière lui, et où « le tueur ne sait pas pourquoi il a tué et la victime ne sait pas non plus pourquoi elle est morte ? », comme dit dans le Noble hadith).
Deuxième postulat : La considération des États nationaux existants comme des régimes légitimes, méritant le respect et la légitimité dus aux entités politiques qui existaient la tradition islamique, et ce sur la base du critère des « « Massalih » (bienfaits) et « Mafasid » (dégâts) » qui est le pilier des préceptes de la charia.
Troisième postulat : La conviction que les efforts de tous les peuples du continent doivent être conjugués, afin de combattre,
Intellectuellement et spirituellement, la belligérance et l’extrémisme – qui est considéré comme le fléau du siècle et son mal incurable – par un dialogue fondé sur les valeurs islamiques tolérantes, connues pour être
« Justice, sagesse, miséricorde et bienfait », l’unité des rangs et l’unicité du discours, la coopération et la solidarité économique et l’aspiration à la perspective d’un développement qui améliore la qualité de vie, crée des emplois pour tous et augmente l’efficience de la bonne gouvernance dans les pays du continent.
Quatrième postulat : Le respect de la quintessence des spécificités religieuses et des identités sociales et culturelles de la communauté africaine, car les valeurs de coexistence et de tolérance qui constituaient jadis la réalité de l’Afrique sont le résultat du respect de ces organisations sociales et des patrimoines culturels ancrés.
LES PRINCIPES
Cette déclaration se fonde sur les principes suivants :
Le principe de la preuve, car il faut connaître les contextes et circonstances qui entourent le phénomène de la violence et de l’extrémisme. Le bon diagnostic conduit à la connaissance du remède efficace. Il est important de faire la distinction entre le terrorisme qui se cache sous l’habit de la religion et les guerres qui éclatent pour d’autres raisons.
Le principe de la responsabilité pénale personnelle, à l’effet que le législateur de l’Afrique doit insister sur la règle selon laquelle l’innocent ne doit pas être pris pour le criminel. Ainsi, une tribu ou une ethnie ne doit pas être condamnée pour le crime d’individus qui en sont issus, vue le principe coranique et biblique abrahamique : « N’a-til pas été informé de ce qui est écrit dans les feuillets de Moise et d’Abraham-le Messager fidèle – disposant qu’aucune âme ne porte que le fruit de son labeur »(al-Najm 36-39, al-Anam, 164 et Fatir, 18)[1] ; principe reconnu par tous les droits et toutes les législations du monde.

Le principe du respect des accords et conventions, tout en insistant sur la nécessité de respecter les conventions internationales et la souveraineté des États.
Le principe de la collaboration entre les chefs religieux, sur la base de la droiture et la piété : il est fondé sur l’affirmation du rôle des chefs religieux dans la contribution à faire régner la tranquillité et la consolidation de la paix, à faire face à l’extrémisme, à la pensée violente, et aux discours d’incitation à la haine, et à adopter une approche conciliante au niveau de chaque religion, en vue d’instaurer la tolérance dans toutes ses significations et dimensions.
Le principe d’ôter la légitimité religieuse à la belligérance aveugle, dans laquelle est versé le sang et sont violés les droits des innocents. La forme des sacrifices ne reflète pas forcément leur réalité, car il faut absolument qu’en soient établies les causes et l’absence des prohibitions.
Le principe de la recherche de la justice et de lever les iniquités par le dialogue, du recours à la raison et à la charia, de susciter les intérêts et de conjurer les dégâts.
Le principe d’affirmer que la préservation des vies est la priorité des priorités à laquelle incite la religion (Il vous est prohibé d’attenter à votre sang, vos biens et votre honneur, de la même manière que sont déclarés inviolables la journée d’aujourd’hui, le mois courant et votre pays actuel), comme dit dans le hadith du sermon de l’Adieu.
Le principe du caractère inviolable des lieux de culte et des et de l’obligation de les défendre, comme dans le saint verset (N’eût été que les gens sont tenus en respect les uns par les autres, nombre de clochers, de monastères et de mosquées où le Nom d’Allah est beaucoup psalmodié auraient été détruits.[2])
Le principe de la dignité humaine, l’homme étant honoré et respecté, quelle que soit sa race, sa religion ou sa secte. (Nous avons honorés les fils d’Adam et les avons transportés sur la terre et les mers, les avons nourris de meilleurs mets et leur avons donné Notre préférence par rapport à nombre de nos créatures[3])
LES MOYENS
Tout en affirmant l’importance des dispositions de la présente déclaration et la valeur de ses objectifs, les participants proposent un ensemble d’instruments procéduraux pouvant être résumés comme suit :
- L’élaboration de projets de développement locaux décentralisés et économiques régionaux, et la lutte contre la vulnérabilité, la pauvreté, le chômage et les différents aspects de l’environnement susceptible d’abriter l’extrémisme, et ce à travers l’appui à l’enseignement et aux programmes de réhabilitation et de disponibilisation des services de base.
- La création du Conseil de Médiation et de Bons offices dans les différents pays africains, comprenant l’élite religieuse et intellectuelle et les notables de la communauté.
- Inviter les organisations régionales à accorder un intérêt particulier à l’aspect intellectuel et religieux des stratégies adoptées, surtout l’Union Africaine et le G5-Sahel.
- Inviter les organismes gouvernementaux et organisations non gouvernementales au partenariat et à la coordination avec les ulémas et chefs religieux, pour faire face à l’extrémisme et ses défis.
- L’institution de Caravanes africaines de paix de rapprochement et de mise en place de passerelles relationnelles entre les adeptes des religions en Afrique.
- Le développement de mécanismes de préservation de la diversité civilisationnelle, religieuse et culturelle, en tant que richesse et harmonie, non en tant que prétexte de confrontation, et la disculpation de toutes les religions, et au premier rang d’entre elles la religion islamique, du stigmate du terrorisme.
- La tenue d’un dialogue approfondi, global et rationnel, basé sur les valeurs humaines et les intérêts mutuels.
- La création de davantage de mécanismes d’échange culturel et de dialogue fructueux entre les divers acteurs africains et l’ouverture des médias pour diffuser les dialogues et les vulgariser dans les universités, les centres de recherche et de pensée.
- L’adoption du mécanisme de dialogue et son institution comme instrument idéal de règlement des différends et de résolution des problèmes.
- La formation des chefs religieux, des acteurs sociaux et des activistes au dialogue et à la communication positifs (…en discutant avec eux de la manière la plus courtoise[4]).
- La conclusion de contrats africains civils et volontaires, qui bénéficient de l’obligation morale, entre les parties, d’agir avec assurance et confiance mutuelle.
- La promotion de la culture de tolérance, en tant qu’impératif religieux et obligation de foi, au lieu de la prendre pour une simple option offerte, entre autres, dans la religion.
- L’activation du principe de connaissance mutuelle : contourner l’étroitesse d’esprit et l’impassibilité des âmes vers l’ampleur de la connaissance mutuelle, et le passage de la fragmentation des minorités et des identités étroites à l’unité de la majorité rassembleuse et la communauté unique, sans abolir les particularités.
- Le renouvèlement, la simplification et la « mise à jour » des programmes d’enseignement au niveau des systèmes et des institutions historiques locales, afin qu’ils suivent le rythme des problèmes intellectuels, philosophiques et sociaux émergents, en prenant en compte « L’entièreté du temps », sachant que chaque époque a sa propre réalité et son contexte.
- Le développement de programmes éducatifs et de cours basés sur une vision systématique de l’éducation à la paix et à la tolérance.
- La promulgation de lois pour criminaliser le mépris des religions et des institutions sacrées, et pour criminaliser les actions et paroles qui conduisent à la sédition et aux guerres intestines.
- Le renouvèlement du discours religieux, la maitrise de la relation entre la rhétorique de la prescription et la rhétorique de la situation, considérée comme circonscrivant et disciplinant le discours de prescription ; en plus de la connaissance de la réalité, de ses fluctuations et de ses impératifs, la transcription rigoureuse du discours de religion dans le code compris par le grand public.
- L’élaboration des concepts, en clarifiant les vraies notions jurisprudentielles, partant de deux paramètres : le paramètre de la charia et le paramètre de la réalité, dans une complémentarité qui réalise les principaux objectifs de la charia et les intérêts les plus plausibles de la Communauté.
- Editer des fascicules et des messages de clarification et rectification des concepts équivoques et les distribuer à large échelle.
- L’encouragement des approches de médiation et d’arbitrage, l’activation des outils de réconciliation et la mise en place d’instances, d’organes et de ministères de réconciliation et de paix dans les pays qui vivent dans l’angoisse ou connaissent des conflits et des troubles.
- L’appui aux références locales et leur promotion, pour qu’elles soient en mesure d’accomplir au mieux leurs tâches religieuses traditionnelles au sein de leurs communautés car négliger le rôle de ces références offre un terreau favorable aux idées exogènes malveillantes. En effet, la nature a horreur du vide.
- La préservation et la dynamisation du rôle des institutions traditionnelles (telles que les écoles locales et les zaouïas) dans leurs communautés propres, étant donné que ces institutions sont le pilier le plus assuré de la préservation du tissu social et de l’identité religieuse locale, ainsi que du renforcement des liens de parenté et de voisinage dans les sociétés ouest-africaines.
- La coordination des actions des érudits, au sein d’institutions officielles, qui s’efforcent d’aider les savants à s’acquitter de leurs responsabilités en matière de diffusion de la bonne compréhension des préceptes de la religion, d’encadrement de la religiosité locale, d’orientation et de prédication.
- Le renforcement de la présence de l’État, de son appareil et de ses institutions dans des zones éloignées des centres du pouvoir, ainsi que veiller sur la ressource humaine de ces régions éloignées, en termes d’enseignement, d’éducation et de formation, et leur aménager les infrastructures, notamment au niveau des écoles et des établissements publics sanitaires et sociaux. Cela est de nature à rétablir la confiance des habitants de ces zones vis-à-vis de l’État, de renforcer leur sentiment d’appartenance et leur immunité contre les appels à la sédition et la belligérance.
- Lancer un appel à la jeunesse africaine, ayant rallié les groupes de la sédition ou sur le point de la faire, à s’arrêter, retrouver la raison, renoncer à cette voie et se fonder sur les instruments de la charia pour préserver leur pays et leur religion.
- S’intéresser à l’institutionnalisation de la question religieuse (fatwa, rhétorique, conseil, enseignement de la religion, etc.) et créer un cadre juridique et institutionnel qui oriente l’autorité de la religion et son pouvoir vers la construction, la reconstruction et la participation positive.
- La mise en place de centres et universités spécialisés dans l’espace africain, pour soutenir la pensée de la paix, de la modération, du centrisme et du respect des valeurs de citoyenneté et des règles de coexistence.
- La mise en place d’un centre spécialisé, basé à Nouakchott et travaillant à la réintégration des personnes affectées par des idées qui mènent à des conflits et des guerres intestines et cherchant à restaurer la tranquillité dans les sociétés africaines.
- La formation et l’habilitation de certains érudits qualifiés pour conseiller et dialoguer en permanence avec les personnes abusées.
- La sélection de jeunes experts pour investir et confondre la pensée extrémiste dans le monde virtuel, sur les réseaux sociaux et dans les divers médias électroniques.
CONCLUSION
En conclusion, les participants expriment sincèrement leurs remerciements à la République islamique de Mauritanie, qui a accueilli cette première conférence du genre sur le continent, et soulignent l’adoption par eux de la vision de la Mauritanie et recommandent de la généraliser et de profiter du modèle mauritanien dans la confrontation et le conseil.
De même, ils remercient le Forum de renforcement de la paix au sein des sociétés musulmanes et l’Etat des Emirats Arabes Unis pour son appui à ce genre d’initiatives et pour sa contribution à propager les valeurs de paix et de tolérance dans le monde entier et dans le continent africain particulièrement.
C’est d’Allah qu’est attendue le succès. Louange à Allah, Dieu de l’Univers.
Fait à Nouakchott, le 23 janvier 2020 / 28 Joumada Al Oula 1441 H.
Prière et salut sur notre seigneur Mohamed, sur les siens
et ses compagnons.
[1] Traduction de Mohamed El-Moktar Ould Bah
[2] Interprétation du sens du verset
[3] Ibid.
[4] Ibid.
Sockona Niane @Actuel média