Dès l’aube, dans le quartier Abattoire, situé le long de la rivière N’Djili à quelques kilomètres du centre-ville de Kinshasa, une dizaine de résidents se mobilisent pour une tâche cruciale. Sous la supervision de Mounir Ferchichi, ingénieur mandaté par l’Agence française de développement (AFD), ils travaillent à nettoyer les caniveaux et à ériger des murs de protection contre les inondations. Cette initiative fait partie d’un projet visant à renforcer la résilience des quartiers urbains face aux fortes pluies de la saison.
Micheline Benda, l’une des habitantes du quartier, explique : « Nous devons faire ce travail pour éviter que nos maisons soient dévastées chaque année. En janvier, l’eau est montée jusqu’ici », dit-elle en pointant le toit d’une maison. « Certains se déplaçaient même en pirogue. »
Lutter contre l’urbanisation chaotique
L’urbanisation informelle à Kinshasa est en pleine expansion et constitue un fléau qui aggrave les risques d’inondations. Selon l’Autorité des voies fluviales de la République Démocratique du Congo (RDC), plus de 300 personnes ont perdu la vie lors des violentes averses de l’année dernière, un drame qui se répète chaque année. Mounir Ferchichi précise que les efforts réalisés ne représentent qu’une solution provisoire : « Il y aura toujours des inondations. Les gens se sont installés de manière anarchique ici, comme le montre cette rue construite sur une digue de sable le long de la rivière. » Ce quartier, autrefois une rizière exploitée par une entreprise chinoise jusqu’aux années 1960, est désormais urbanisé sans réglementation, avec des caniveaux utilisés autrefois pour l’irrigation.
Un phénomène d’urbanisation incontrôlée
La croissance rapide et désordonnée de Kinshasa préoccupe les spécialistes. Francis Lelo Nzuzi, professeur d’urbanisme à l’Université de Kinshasa, alerte depuis des années sur la dangerosité de cette situation : « Je crains que la ville ne devienne ingérable », déclare-t-il. La population de la capitale congolaise augmente d’environ 450 000 habitants chaque année et approche désormais les 17 millions. Pourtant, cela fait près d’un demi-siècle que la ville n’a plus d’espace viable à offrir aux nouveaux arrivants. Les experts estiment qu’environ 50 % de Kinshasa est construite sur des terrains à risque : près des rivières sujettes aux inondations ou sur des collines aux sols instables.
Cette urbanisation incontrôlée touche aussi bien les quartiers périphériques que le centre-ville. « Avant la décolonisation, les autorités interdisaient l’installation à moins de 200 mètres des cours d’eau », rappelle Francis Lelo Nzuzi. Aujourd’hui, non seulement les habitants s’installent à proximité des rivières, mais ils déboisent également les zones environnantes, ce qui accélère l’érosion et augmente les risques de glissements de terrain.
Face à cette situation, Kinshasa se trouve à un tournant. Pour éviter de nouvelles catastrophes et garantir un avenir plus sûr pour ses habitants, il est impératif d’adopter une gestion urbaine plus structurée et une planification rigoureuse afin de faire face à l’urbanisation rapide et aux défis environnementaux croissants.
Younoussa Maïga