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LE SOMMET DU 16 DÉCEMBRE 2019 A PAU EN FRANCE : VOICI L’ANALYSE POLITIQUE.

Le sommet du 16 décembre 2019 à Pau, entre les pays du G5 Sahel et la France, sur l’avenir de la présence militaire de l’Hexagone dans cette zone, à l’initiative du président Emmanuel Macron, a suscité l’analyse ci-dessous de Siaka Coulibaly

On attendait la réaction des pouvoirs français suite à la montée du sentiment anti-français dans les pays africains francophones. Elle vient de se profiler à travers l’invitation du président Emmanuel Macron adressée aux chefs d’Etats du G5 Sahel à clarifier leur position sur la présence des forces françaises au Sahel sous peine du retrait de la force Barkhane.

Visiblement très agacé, Emmanuel Macron, à partir de Watford, près de Londres, ce mercredi 4 décembre et en marge du Sommet commémoratif du 70e anniversaire de l’OTAN, a fait une déclaration où il mêle menace de retrait de la présence militaire française et proposition de dernière chance aux chefs d’Etats du G5 Sahel. Macron invite les chefs d’Etat du G5 Sahel à une rencontre à Pau en France le 16 décembre prochain en vue de clarifier leur engagement à la coopération militaire avec la France.

Plusieurs observateurs estiment déjà que le président français a « tapé du poing sur la table » ou a « donné un ultimatum » à ses homologues africains.
On peut se demander si cette opération, du plus pur style françafricain, constitue la vraie réponse au sentiment de rejet que les Africains manifestent à l’égard de la France. Ce sentiment est maintenant bien explicite. Il est alimenté par des douleurs issues des relations entre la France et ses anciennes colonies et réchauffé ces dernières années par quelques sujets qui fâchent en Afrique.

D’abord la question brûlante et irrésolue du franc CFA et la présence militaire française sur le sol africain constituent les thèmes d’une sourde rancœur d’une partie importante de la population africaine à l’égard du partenaire obligé qu’est la France. Les chances de résorber le sentiment anti-français par cette rencontre de Pau ressemblant à une cérémonie de prestation de serment, semblent bien minces. Ce ressentiment contre la France procède d’une situation très ambiguë liée à la question sécuritaire et au terrorisme.

Il se nourrit essentiellement de rumeurs d’accointances ou d’intelligence entre les troupes françaises et les groupes armés terroristes. Cette partie de la problématique se nourrit des liens entre la France et le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) qui n’est pas classé sur la liste des organisations terroristes mais qui fait partie des mouvements rebelles revendiquant l’indépendance du territoire de l’Azawad, et fait recours à la violence armée au besoin, ce qui, dans l’esprit de la plupart des Africains, revient à du terrorisme purement et simplement.

Un autre membre de la conviction populaire anti- française provient d’une déduction assez simpliste. Si la force Barkhane est positionnée sur le terrain d’opération des terroristes et que pendant toutes ces années, elle n’arrive pas à endiguer le flux des attaques de ces acteurs, ce serait probablement parce qu’il existe un rapport de complicité entre les Français et les terroristes.

Ces considérations prolifèrent au niveau social, sur les réseaux numériques, dans les médias et dans les lieux de socialisation des pays du G5 Sahel, sans que les responsables des institutions, en particulier les autorités politiques, ne fassent grand-chose pour encadrer le sujet.

Au vu des réactions de certaines autorités gouvernementales, il était possible de penser que ce sentiment ait pu être, soit suscité et entretenu par des responsables politiques, ou qu’elles en tirent profit pour des tentatives de relégitimation par la voie populiste, à peu de frais et sur le dos de leurs partenaires français. C’est ce qui explique, très clairement, la réaction d’Emmanuel Macron de demande de clarification formelle aux dirigeants du G5 Sahel.

L’initiative Macron a peu de chances de régler le problème. D’abord parce que les chefs d’Etats africains sont bien rodés à ces exercices avec la France et tous ces pays ont déjà signé des accords de coopération militaire avec la France. Renouveler le partenariat par un nouvel engagement formel ne résoudra probablement pas le problème.

Même si les parlements sont mis à contribution pour consolider la volonté des pays du G5 Sahel à accepter la présence militaire française sur leur sol, l’initiative reste limitée à un niveau institutionnel. Et il n’y aura aucun obstacle à la prise d’un nouvel engagement des dirigeants du G5 Sahel à voir des forces armées françaises intervenir sur le territoire, c’est certain.

En l’état actuel du désamour africain envers la France, une opération de nature institutionnelle est largement décalée et inadaptée. Il faut, pour cela, considérer le niveau de légitimité de ces dirigeants dans leurs pays respectifs. La plupart du temps, il existe déjà depuis près d’une décennie, de manière très explicite, une rupture de plus en plus profonde, entre les citoyens et les institutions.

Cette rupture se manifeste par des taux de participation de plus en plus faibles aux élections et par des actes de défiance de l’autorité étatique généralement regroupés sous le terme incivisme. Les jeunes, en particulier, sont les sujets de cette nouvelle relation entre l’Etat et les citoyens. Cette jeunesse d’ailleurs est aussi responsable de la situation politique des pays africains faite de turbulences socio-politiques répétitives et des très grosses difficultés qu’ont aujourd’hui les dirigeants à gouverner. Ils présentent une exigence de redevabilité de la gestion publique inédite et les dirigeants politiques, peu sensibles aux réflexions de fond, n’ont pas compris que leurs sociétés ont changé et que les modes de gouvernance passés ne seront plus de mise dorénavant.

Le sentiment anti-français n’est que le prolongement de la rupture du lien institutionnel voire sociétal que connaissent la plupart des pays sahéliens. Les citoyens africains et les jeunes mettent leurs propres dirigeants dans le même panier que la France et les considèrent comme globalement responsables de la situation qu’ils vivent.

En poussant la réflexion, il est aussi possible de considérer que la France en général, et son président actuel en particulier, sont largement en deçà du niveau de conscience qu’ils devraient accorder à ce sentiment anti-français dans leurs pays partenaires. D’une part, le cadre mental français sur l’Africain est peu dynamique, mais surtout, les Français ne perçoivent toujours pas une autre forme de relations avec les Africains.

Les Français gardent de l’Africain, la définition qu’ils s’en sont faite il y a soixante ans, au moment où les Africains recevaient leur indépendance, qui est celle d’un être relativement peu éveillé, façonné dans le moule que l’Occident a bien voulu lui fabriquer. C’est l’Afrique du vieux Meka, prête à accepter toutes les vicissitudes de la vie « moderne » comme faisant partie de son destin.

L’Afrique d’aujourd’hui, à défaut de pouvoir s’élever au niveau des premières nations du monde en termes d’auto-prise en charge sur tous les plans, comprend les évolutions de ce monde et sa population nouvelle, équarrie par trente ans de mondialisation, n’est plus du tout prête à reproduire les attitudes de soumission de leurs pères envers qui que ce soit.

La France ne peut s’en prendre qu’à elle-même, face à la situation qui se présente à elle maintenant, car la réalité de ces pays qu’elle voudrait aujourd’hui considérer comme ingrats, a été générée par cette même France. Les assemblages de groupes d’individus qui ont été faits pour constituer les Etats d’Afrique francophone du Sahel n’ont tenu compte que de la vision de la France. La viabilité sociologique de ces Etats n’a pas été même une question au moment de la définition des Etats après la colonisation.

Ces Etats ont fonctionné en étant en permanence orientés sur l’angle ethnique des pouvoirs. La citoyenneté, le partage des ressources, le développement social et les droits politiques sont gérés selon cet angle ethnique, ce qui génère énormément de frustrations et de violences contenues. L’instabilité politique actuelle prend sa source dans l’approche dévoyée des Etats.

Aujourd’hui, la dimension de l’incohérence sociologique des Etats francophones d’Afrique de l’ouest produit tous ses effets, hier en Côte d’Ivoire (2000 – 2011) et maintenant au Mali et au Burkina Faso, avec des risques très élevés d’implosion de ces Etats. Comme un retour de manivelle, la France reçoit les retombées de ce qu’elle a ensemencé jadis sur le sol africain.

Le sujet du sentiment anti-français en Afrique sahélienne est un sujet à peine politique. Il s’agit de perceptions et de sentiments profondément ancrés dans le tréfonds des populations de cette partie du continent qui se manifesteront de plus en plus fréquemment et sous des formes dures. Le terrorisme est un défi pour la France qui y paie déjà un lourd tribut en vies humaines mais cela pourrait même constituer un moindre mal devant l’insurrection sociale permanente contre les institutions nationales et la France qui prend de l’ampleur au fil des jours en Afrique.

Si Macron pense qu’il va évacuer le passif des relations entre son pays et l’Afrique par une légère rencontre superficielle le 16 décembre à venir, il se trompe lourdement. L’engagement des présidents du G5 Sahel, Emmanuel Macron l’aura sans frais, mais l’amour des Africains pour la France, il faudra le conquérir, si cela en vaut la peine.

A court terme, le président français risque un hors sujet dans ce dossier. Le sentiment anti -français n’est pas du tout une question réduite à l’opinion des chefs d’Etat africains, c’est une question de société. Ne pas l’avoir perçu constitue déjà un pas vers l’échec, comme un médecin qui rate son diagnostic d’entrée. Et, à inverser le sentiment contraire, il serait étonnant que la France y réussisse à cause de sa psycho-résistance sur le fond de sa relation à l’Africain qui constitue une véritable pathologie pour ses propres intérêts. Alea jacta est.

Siaka Coulibaly
Juriste, Analyste politique

Source LeFasonet.

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